Granada
Notre chemin nous a ensuite menés à Grenade, où j’avais déjà séjourné avant l’arrivée des copains amiénois, et où je suis restée encore une semaine après leur départ. Grenade, c’est pour moi d’abord une formidable plongée dans l’Histoire d’Al Ándalus. Le royaume de Grenade est l’espace musulman qui a duré le plus longtemps en Espagne, jusqu’en 1492. Alors que Cordoue était reprise par les rois chrétiens en 1236, et Séville en 1248, soit environ 250 ans avant. C’est dire que la marque arabo-berbère, la civilisation musulmane en ont imprégné tous les coins de rues encore plus que dans les autres villes. Et cela demeure une référence aujourd’hui. Les noms des rues, des quartiers, leur conformation, une sorte de « se laisser vivre », et tant d’autres choses, y évoquent constamment l’état d’esprit des derniers rois nasrides.
En premier lieu, à tout seigneur tout honneur, l’ Alhambra, le « palais rouge », construit essentiellement aux XIIIème et XIVème siècles. Cette appellation proviendrait de la terre chargée d’oxyde de fer des rives du Darro, la rivière qui passe en contrebas, et avec laquelle a été construite la plus grande partie de l’ensemble. L’Alhambra a longtemps été délaissé, ce qui a entraîné une énorme dégradation de certaines parties. Bien des écrivains ou artistes en tous genres passés par là aux XIXème et XXème siècles ont lancé l’alerte et contribué à la mise en place d’une politique de conservation et restauration, actives aujourd’hui, mais il y a tant à faire.
L’ Alhambra, c’est une ville dans la ville, dans laquelle vivaient l’armée du roi, la population à son service, les artisans travaillant aux agrandissements et à la décoration des différents palais, …
Difficile de décrire en quelques lignes la fascination que procure tant de beauté. Mais aussi l’impression de fragilité. Le temps a fait son œuvre. Ce sont les palais toujours construits autour d’un patio, qui peut revêtir différentes formes. Le symbole de l’eau, immobile, qui agit comme un miroir,
ou au contraire s’écoulant et laissant entendre comme le bruit d’un ruisseau.
Les alicatados variés à l’infini,
À la différence des azulejos qui sont des carreaux sur lesquels les motifs sont peints, les alicatados, plus anciens, sont comme la mosaïque, de petites pièces juxtaposées dans des combinaisons mathématiques savamment prédéfinies.
les yeserías où se retrouve partout la devise des nasrides : « Dieu est seul vainqueur ».
Les mocárabes, pouvant être en plâtre, pierre, bois, ou céramique, sont des sortes de prismes décoratifs produisant l’effet de stalactictes, et constituent de nombreuses voûtes dans les palais de l’ Alhambra :
Les fleurs et les jardins, notamment ceux du Generalife,
résidence d’été des rois nasrides, où, quand on a la chance d’y venir sans qu’il y ait trop de monde, on goûte ce qui est un élément essentiel de l’âme de Grenade, ce vide intérieur avec pour seuls interlocuteurs le chant en canon des oiseaux et les fontaines qui ruissellent.
Une plongée dans un monde développant l’art du bien-être, où l’harmonie intégrant l’espace, le temps, le corps, les émotions, peut sembler une réponse (ou une alternative) avant l’heure à des siècles de reconquête chrétienne enracinée dans une éprouvante culture du sacrifice. De doux moments.
Mise en pratique immédiate de tout cela avec le hammam. Les bains arabes de Grenade sont très justement renommés. Paradis sur terre ? Silence, douceur, pénombre, pas feutrés, musique arabo-andalouse, thé à la menthe, détente du corps par le massage. Et puis toujours, le bruit de l’eau qui s’écoule des fontaines, apaisant, jamais obsédant. Indescriptible.
Mais il ne faut pas croire qu’à Grenade les jours s’écoulent langoureusement. Car la beauté, à l’extérieur et en soi-même, ça se mérite. Dans la ville de l’ Alhambra, on monte et on descend sans cesse. L’ancien quartier arabe de l’Albaizín, au pied de l’ensemble monumental, est caractéristique de ce point de vue, et l’on n’arrive jamais sans peine au mirador de San Nicolás.
La Porte d’Elvira ouvrait la ville et donnait accès à l’Albaizín :
C’est un quartier fait de petites rues jamais droites,
si étroites parfois qu’on pourrait passer chez le voisin d’en face sans problème. En espagnol, si la rue se dit calle, de nombreux autres termes traduisent la petitesse de ces passages : callejuela, callejón, placeta
… On y croise des arbres ou arbustes dégageant de sublimes parfums :
Les portes grillagées en fer forgé laissent deviner d’intimes patios :
On y croise fréquemment des aljibes, citernes qui ne servent guère aujourd’hui, mais qui faisaient partie d’un réseau assez complexe d’alimentation en eau du quartier.
On peut, au détour d’une ruelle, être surpris par une vue imprenable sur la Sierra Nevada ou l’ Alhambra.
Je crois qu’il faut se perdre dans l’Albaizín, se laisser pénétrer par cette géographie particulière, ses bruits, sa musique, ses odeurs, les rencontres qu’on peut y faire.
Grenade, c’est aussi sa Cathédrale, classique et baroque, comme beaucoup d’édifices religieux en Espagne.
Elle abrite le sépulcre des Rois Catholiques, Isabelle et Ferdinand. Beaucoup de choses dans la ville évoquent ceux-ci, d’abord comme vainqueurs d’Al Ándalus, puis comme partenaires obligés de Christophe Colomb dans son projet lointain.
Les symboles des Rois Catholiques, le joug et le faisceau de flèches, se retrouvent sur bon nombre de monuments. Ici, sur la façade du couvent Ste Isabelle la Royale, dans l’Albaizín.
Avec les copains, nous avons assisté à un spectacle de flamenco dans une grotte-cave du Sacromonte. Le Sacromonte est le quartier gitan de Grenade, il remonte probablement à la fin du Moyen-Âge. Les gitans y ont développé la zambra, une forme de flamenco plus « tripale » qu’à Séville par exemple. Ici, les émotions se lâchent, sortent, tant par la danse que par le chant.
Grenade, c’est encore tant et tant, qu’il est impossible de tout dire. La mémoire de Manuel de Falla, dont la maison, à deux pas de l’ Alhambra, surmontait le Realejo, ancien quartier juif. J’ai essayé d’imaginer la vue de la ville qu’avait le musicien quand il n’y avait aucun de ces immeubles, qu’au-delà du bâti urbain s’étendait l’immense vega, plaine cultivée dont vivaient les citadins, et ce que devait être de composer de la musique dans cet environnement.
C’est aussi la mémoire de Federico García Lorca, dont la maison familiale, la Huerta de San Vicente, était située à deux kilomètres de la ville et qui maintenant se trouve complètement enserrée dans celle-ci. Il y avait travaillé bon nombre de ses œuvres, et y vivait encore en 1936, quelques semaines avant son exécution.
Pour terminer sur ces impressions éparses, voici quelques douceurs que nous a accordées la ville au palais rouge :
Ses spécialités artisanales avec, entre autres,
Grenade maintient aussi la tradition de la teracea, incrustation d’os, de nacre ou d’ivoire dans des pièces de bois, formant de magnifiques compositions.
Je n’ai pas pensé sur le coup à proposer aux copains de goûter l’une des célébrités de Grenade, le pionono. Je l’ai regretté par la suite, alors je souhaite juste vous mettre l’eau à la bouche :
J’ai ainsi appris un nouveau mot : la piononería. C’est, bien sûr, une patisserie spécialisée dans la confection des piononos.
Mais nous avons quand même partagé avec certains un thé à la menthe dans l’une des teterías de l’Albaizín. Se croirait-on en Espagne ?
Enfin, quelques « insolites » croisés à Grenade :
Cette porte de la ville, la Porte de Vivarrambla, toute seule en pleine forêt, transportée là quand a été détruite une partie de l’Albaizín pour construire la Plaza Nueva.
Cette voiture qui m’a rendue un instant jalouse car elle concurrençait largement les dimensions de la furgoneta.
Un petit tour, très partiel, très partial, de la ville de mes rêves. Si je devais vivre dans une ville d' Espagne, ce serait à Grenade. A bientôt. Je ne vous ferai pas attendre aussi longtemps la prochaine fois. En route pour Cordoue la fleurie. ¡Hasta luego ! Un abrazo fuerte a todos.