De Tarifa à Sevilla
Bonjour à tous. Je ne me suis pas adressée à vous depuis une semaine, c’est que les connections sont assez souvent capricieuses. Quittant Tarifa, ma bonne étoile m’a menée vers les fameux villages blancs, los pueblos blancos. En fait, il y en a beaucoup des pueblos blancos, mais surtout un ensemble à l’est et au nord-est de Cádiz, et un autre ensemble dans la Sierra Nevada, précisément dans la région des Alpujarras. Entre Tarifa et Cádiz, le premier que j’ai croisé était Vejer de la Frontera. Quand on dit blanc, c’est vraiment blanc :
mais pas que blanc :
Ce qui m’a frappée, c’est d’abord le nom d’un certain nombre d’entre eux qui se termine par « de la Frontera ». Il s’agit de la frontière, oh combien mouvante, définie par la limite entre les terres reconquises par les rois chrétiens du nord de l’Espagne et celles encore aux mains des musulmans, à l’époque de la Reconquista. Cela se situe entre le XIIème et le XIVème siècles. Après le XIVème siècle, il ne reste plus aux musulmans que le royaume nazarí de Grenade d’où ils seront chassés en janvier 1492.
Ces villages sont donc magnifiques, parce que le blanc ressort sur le paysage alentour, tant par beau temps que sous l’orage :
Et puis on se croirait en Afrique du Nord, par les noms des villages (Benamahoma, Benoacaz, Zahara de la Sierra, etc …), par la façon dont ils sont construits, avec des ruelles étroites :
des maisons bâties autour du patio :
les terrasses, où l’on passe les soirées d’été :
J’y ai même retrouvé la façon d’accrocher le linge que nous avions en Algérie, parce qu’en moins d'une heure, tout est sec !
Là il m’a semblé rencontrer Al Ándalus, l’âme berbéro-arabo-musulmane, dans ces pueblos blancos, un peu ce que j’étais venue chercher, ce qui me fascine profondément dans l’Histoire, c’est-à-dire, au-delà de l’affrontement, la Rencontre, les ponts entre les civilisations. Cela ne signifie pas que les hommes de ces temps lointains étaient toujours respectueux les uns des autres ni cohabitaient forcément en bonne entente, mais ils ont su malgré tout, à travers les siècles, opérer une synthèse du meilleur d’eux-mêmes, reconnaissant à sa juste valeur ce que l’Autre, l’ennemi parfois, pouvait apporter. Quand je regarde notre monde contemporain, souvent je pense, non sans une certaine nostalgie parfois, à l'esprit d' Al Ándalus.
Ce qui marque encore les pueblos blancos, c’est fréquemment, la présence face à face du château et de l’église. Paysage, somme toute pas très original de ces temps médiévaux, le trône et l’autel. Sauf qu’ici, le château a une architecture arabe caractéristique. Devant les armées chrétiennes menaçantes aux XIIIème et XIVème siècles, de nombreux rois musulmans (l’Espagne d’Al Ándalus était très divisée à l’époque) ont fait construire de telles forteresses pour défendre leurs terres. Alors, dans le paysage cela fait un peu l’effet de deux pouvoirs qui se sont affrontés, celui du vaincu représenté par le château, et celui du vainqueur qui s’est empressé de marquer son territoire par un clocher rivalisant de hauteur avec le donjon (la torre del homenaje, la tour de l'hommage) de l’ennemi terrassé :
Le clou des pueblos blancos a peut-être été Ronda, qui est bien plus qu’un village avec ses 36.000 habitants. Un site vertigineux :
Là encore, une présence maghrébine très marquée. Voici ce qu’il reste des bains arabes (hammam) les mieux conservés de toute l’Espagne :
Les moutons y transcendent les époques et les différents maîtres des lieux :
Une rencontre s’intégrant avec beaucoup de bonheur au charme sous lequel j’étais tombée :
Autre super rencontre, avec Duchan. Duchan est Slovaque, il voyage ainsi depuis dix mois, avec sa bicyclette électrique, promouvant l'utilisation de l’énergie solaire récupérée par le panneau qui est au-dessus de ses bagages. Nous avons sympathisé :
Avant d’arriver à Séville et de plonger dans la grande ville, je devais repartir en pleine nature, en suivant le sentier du Torreón dans la Sierra de Grazalema, au nord-ouest de Ronda. Pour la 1ère fois de ma vie, j’ai obtenu un permis de randonner :
Etrange, n’est-ce pas ? C’est que la Sierra de Grazalema est un parc naturel hyper protégé car elle possède une variété très ancienne mais rarissime maintenant, de pin, le pinsapo, que l’on ne trouve plus que dans la région ainsi qu’au nord du Maroc.
Après ce bain de bosquet méditerranéen, de paysages magnifiques à perte de vue, ma voici pour dix jours dans la capitale andalouse, Séville. Suite donc, au prochain numéro. Je vous fais à tous d’affectueuses bises et pense très fort à vous.